Le recul du trait de côte en France
Décryptage des causes et des enjeux qui pèsent sur l’avenir de nos littoraux.
Une ligne mouvante
Comment définit-on le « trait de côte » ? Il s’agit de la limite géographique entre la terre et la mer, c’est-à-dire la ligne qui marque le contact entre la surface terrestre émergée et l’eau. Cette dernière n’est pas figée puisqu’elle évolue constamment sous l’effet de l’érosion, de la submersion, de l’apport sédimentaire ou encore du changement climatique. En France, le trait de côte est un élément particulièrement important. Pourquoi ? Car l’ensemble du territoire français – métropole, Corse et Outre-Mer - compte 20 000 km de côtes et plus de 1 256 communes riveraines de la mer, d’un estuaire ou d’un grand lac. Ce qui fait de la France le 2ème espace maritime mondial après les Etats-Unis !
Des causes multifactorielles
20 % du linéaire côtier français (hors outre-mer) est en recul depuis un demi-siècle. La France a en effet perdu 30 km² de ses côtes au profit de la mer [1]. Ceci sous l’effet combiné de l’érosion, de la montée du niveau de la mer liée au dérèglement climatique et de l’intensification des tempêtes. Le recul du trait de côte est donc une menace concrète et progressive mettant certaines régions comme la Nouvelle-Aquitaine, la Corse, les Pyrénées-Atlantiques, le Var, ou certains départements ultramarins dans une position de vulnérabilité majeure. A ce rythme, le nombre de biens, d’habitants et de collectivités concernés sera considérable à l’horizon 2050, avec de nombreux enjeux auxquels faire face.
Des enjeux environnementaux, économiques, sociaux
D’un point de vue écologique, le recul du trait de côte représente des pertes d’habitats naturels, des menaces pour la biodiversité marine et côtière ainsi que l’altération de barrières naturelles comme les dunes. Ce phénomène peut par conséquent amplifier les effets de la montée des eaux ainsi que ceux de la multiplication des tempêtes. L’enjeu environnemental central est donc celui de protéger les écosystèmes côtiers, qui sont à la fois victimes du changement climatique et indispensables à la résilience humaine (protection contre les submersions, biodiversité, puits de carbone).
Les littoraux représentent aussi une ressource économique majeure (tourisme, pêche, transport maritime), qui impose d’assurer la gestion durable de ces espaces face au changement climatique. Or, les activités économiques locales pourraient être fortement impactées par le recul du trait de côte. Des milliers de logements, commerces et infrastructures sont exposés pour un montant estimé à 238 M€ dès 2028 et jusqu’à 94 Md€ à horizon 2100 si rien n’est fait ! [2].
Socialement, le recul du trait de côte crée des tensions sur le logement avec une raréfaction du foncier constructible, une augmentation des prix, dont résulte un risque de dévitalisation de certaines communes littorales. La relocalisation de populations peut également générer des tensions sociales sans parler de la pression sur les finances des territoires pour faire face aux indemnisations, relocalisations, travaux de protection et adaptation au changement climatique.
Une menace sous-estimée par le grand public ?
Selon une récente étude [3], 33 360 logements vendus entre 2020 et 2024 seront exposés à des risques d’érosion côtière en 2050. Des risques estimés à 8,3 milliards d’euros (derrière des protections ou non). Selon la même étude, les biens immobiliers les plus exposés aux risques restent pourtant très prisés ! Comme le souligne Sylvain Trottier, directeur de l’association Conséquences « Malgré une prise de conscience progressive et la mention obligatoire du risque de submersion et d’érosion lors d’une vente, nos données montrent que l’attraction pour le rivage est toujours très forte. Les biens potentiellement à risque semblent encore s’arracher, alors que l’exposition aux submersions ou à l’érosion va augmenter dans les décennies à venir. »
Un cadre réglementaire et des outils d’adaptation jugés insuffisants
Une Stratégie Nationale de Gestion Intégrée du Trait de Côte (SNGITC) a été mise en place en 2012, renforcée par la Loi Climat et Résilience (2021). Un Comité national du trait de côte (CNTC) a également été créé en 2023, rassemblant élus, experts et associations pour piloter la stratégie nationale
Plusieurs acteurs jugent pourtant que le cadre réglementaire et les outils d’adaptation au recul du trait de côte sont insuffisants :
les élus locaux (via l’ANEL, l’AMF et l’ANEB notamment) qui estiment que l’État leur transfère une responsabilité lourde avec des moyens financiers et juridiques insuffisants.
la Cour des comptes (rapport 2022) qui souligne que la stratégie nationale est encore trop peu dotée en financements pérennes et que la gouvernance est éclatée.
le Fonds d’adaptation au recul du trait de côte (FERC) qui est alimenté de façon ponctuelle (Fonds vert, redevances, subventions), sans budget stable à long terme.
des experts scientifiques (CNRS, Cerema, GIEC) qui rappellent que la réglementation actuelle reste centrée sur la protection et l’urbanisation plutôt que sur l’anticipation et la relocalisation. Le GIEC insiste particulièrement sur la nécessité de politiques publiques plus intégrées, car le coût de l’inaction sera bien supérieur à celui de l’adaptation.
Le cadre légal pour soutenir l’avenir des littoraux existe (Loi Climat et Résilience, Stratégie Nationale de Gestion Intégrée du Trait de Côte etc) mais nécessite indéniablement un cadre de financement au niveau national pour ne pas laisser les collectivités littorales seules face aux problématiques d’investissement. Et on constate que le lent mais inexorable recul du trait de côte traduit une réalité criante, celle de la nécessaire adaptation au changement climatique. Un enjeu majeur pour l’avenir des littoraux dans le monde, si on veut en préserver l’environnement et l’espace vital de ceux et celles qui y vivent.
[1] Entre 1960 et 2010, Ministère de la Transition écologique
[2] Rapport conjoint de l’IGA et de l’IGEDD publié en mars 2024
Crédit photo : Photo de Derek Liang sur Unsplash